Patrick Devedjian

 

 

Vendredi 20 mai 2011, conseil général des Hauts-de-Seine, Nanterre. Patrick Devedjian, 67 ans, nous reçoit dans son vaste bureau présidentiel. Il a le sourire apaisé d’un homme politique sûr de lui, en fin de carrière. Il l’a emporté sur un Nicolas Sarkozy qui ne voulait plus de lui. On l’avait rencontré une première fois, jeudi 3 mars, à quinze jours des élections cantonales. Il pensait alors que tout était perdu. Que ce département du 92, objet de toutes les convoitises, allait lui échapper. De paria à héros, en quelques mois, Devedjian a appris l’art de la survie. Et perdu un ami, Nicolas Sarkozy.

 

Ce lundi 28 mars 2011, au palais de l’Élysée, l’hypocrisie est à son comble. Il est 18 h 30 et Nicolas Sarkozy reçoit un Patrick Devedjian tout requinqué. La veille, il a été réélu dans son canton, à Bourg-la-Reine, avec 51,22 % des suffrages. Sa rivale, Isabelle Balkany, la protégée du clan Sarkozy, a chuté lourdement, dans son fief de Levallois-Perret. Jean Sarkozy, président du groupe UMP au conseil général, s’est rallié dans la journée à Patrick Devedjian. Il faut désormais composer avec l’ex-banni. Alors Devedjian raconte la scène, avec une évidente gourmandise. Il restitue les paroles présidentielles proférées à l’Élysée, il s’en souvient mot pour mot : « T’es le meilleur, Jean et moi, nous te soutenons. On ne va tout de même pas mettre un demi-paralytique à la tête du conseil général. Comment il s’appelle, déjà, le trépané ? » Sarkozy s’adresse à son fils, il se touche la tête, mime une opération du cerveau. Le « trépané » dont il est aimablement question, c’est Alain-Bernard Boulanger, le maire de Villeneuve-la-Garenne, un sarkozyste pur jus qui a connu quelques ennuis de santé. Les Sarkozy père et fils ont longtemps envisagé d’en faire un président de transition, un type qui chaufferait le fauteuil pour le rejeton. Mais Devedjian a déjoué tous leurs plans. Il a terrassé l’adversité. « Nicolas Sarkozy a été désavoué par le corps électoral, dit-il. Poursuivre dans l’hostilité contre moi, après ce jugement populaire, c’eût été moyen… Et puis, ce département est le sien, avec 1,5 million d’électeurs. À quelques mois de l’élection présidentielle, l’enjeu électoral n’est pas négligeable… » Autant d’éléments qui expliquent la volte-face présidentielle.

À la même heure, ou presque, l’ultra-sarkozyste préfet Patrick Strzoda fait ses adieux aux élus des Hauts-de-Seine. Tous les maires et nouveaux conseillers généraux sont présents. Dans trois jours, on va voter pour élire le successeur de Patrick Devedjian. Ils ont tous reçu pour consigne de désigner Alain-Bernard Boulanger. Aussi sont-ils surpris lorsqu’une alerte de l’Agence France-Presse tombe sur leurs téléphones mobiles. Le site internet du Figaro annonce que Jean Sarkozy va soutenir Patrick Devedjian. Émoi. Stupeur. Et cette désagréable sensation de n’être que des pions entre les mains des Sarkozy. Le jeudi 31 mars, Devedjian est élu, avec 27 voix sur 45. Jean Sarkozy devient vice-président de l’assemblée, il perd son poste de responsable du groupe UMP. Un triomphe pour Devedjian.

Et une tristesse, aussi. « La victoire est toujours ambiguë, explique-t-il. La défaite est un mensonge, la victoire aussi, et cela, vous le savez dès que vous avez gagné. » Que ressent-il, à cet instant ? Le goût amer d’une amitié finissante. « Sarkozy ne connaît que le rapport de force. Depuis qu’il est président de la République, mon amitié ancienne avec lui n’a jamais compté par rapport à son appréciation de son intérêt politique, même quand il a tort… »

À l’Élysée, ce 28 mars, la discussion se termine péniblement. « Je veux qu’on redevienne amis comme avant… », conclut Sarkozy. Silence. Devedjian laisse dire. Il sait que tout cela n’est qu’une vaste fumisterie. On lui a rapporté les mots agressifs et blessants du président à son endroit. En 2002, tout frais ministre de l’Intérieur, au sortir d’un déjeuner, n’avait-il pas eu, déjà, devant des journalistes, cette phrase méprisante à propos de Devedjian : « Celui-là, il me doit tout… » Depuis son élection, en 2007, les remarques acerbes se sont accumulées. Devedjian en a souffert. « Cela vous blesse, nécessairement. Il n’a jamais eu un mot désobligeant à mon égard avant d’être président. Ce n’est plus une amitié, juste une histoire. Mais je ne renie rien… » La politique, ou l’art de la solitude. Et pourtant, il connaît la musique. De victime du sarkozysme, il est subitement devenu cette jolie pièce que l’on expose en vitrine, les soirs de défaite électorale. Mais il n’a rien oublié. Et se doute que sa réhabilitation risque d’être éphémère. La confiance est rompue. Leur relation complice est morte.

Patrick Devedjian est arrivé au conseil général en 2004, dans les pas de son mentor, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Les Hauts-de-Seine, c’est la chasse gardée du clan, un royaume dont on ne cède pas les clés comme ça. Isabelle et Patrick Balkany, les suzerains de Levallois-Perret, font partie du décor, comme Jean Sarkozy, d’ailleurs, le fils préféré, qui fait ses classes politiques à Neuilly-sur-Seine. Nicolas Sarkozy délègue. Énormément. « Sarko a mis en place son administration, se rappelle Devedjian. Il est venu avec Chantal Jouanno, Rachida Dati, Claude Guéant. Les Balkany me reprochent aujourd’hui de ne pas avoir assez de relations avec mes élus, mais il y en avait encore moins à l’époque. Il était assez peu présent, il était ministre de l’Intérieur. Même les commissions permanentes et les séances, il les déléguait, au moins en partie. Il n’a jamais tenu une séance entière, moi, je n’en ai pas raté une seule, même pour une pause pipi ! Je les tiens toutes, et jusqu’au bout. »

Devedjian observe. Prend note. S’imprègne. Il aimerait bien récupérer le pactole, un jour. Si Nicolas Sarkozy est élu président, tous les espoirs lui sont permis. « Sarkozy et moi, nous sommes tous les deux enfants d’immigrés, ça nous a rapprochés, au début. Mon père, comme le sien, n’était pas français. Sarkozy a souffert d’être un enfant pauvre dans une ville de riches, je le revois vendre des glaces pour se faire un peu d’argent. Ça vous marque un homme… » Même s’il sait à quoi s’en tenir quant aux promesses du patron, Devedjian ne nourrissait qu’un seul rêve : devenir garde des Sceaux, lui, l’avocat, fils d’un immigré arménien. En 2007, Sarkozy est élu président de la République. Mais c’est Rachida Dati qui rejoint la place Vendôme. « Il m’avait promis dix fois que je serai garde des Sceaux… Pour se justifier, il m’a expliqué que nommer Rachida Dati, c’était faire accepter aux beurs que la justice, c’était aussi pour eux. J’avais trouvé cette explication convaincante. Et puis, quand j’ai appris qu’il avait aussi proposé le poste à Hubert Védrine [ancien ministre socialiste des Affaires étrangères de Lionel Jospin], je me suis dit qu’il s’était quand même bien foutu de moi ! »

Les premiers doutes datent de cette époque. Le 18 mai 2007, Patrick Devedjian ne fait donc pas partie du gouvernement de François Fillon et il confie son agacement quant à l’ouverture prônée par Nicolas Sarkozy en déclarant : « Je suis pour un gouvernement d’ouverture, y compris aux sarkozystes, c’est tout dire. » Il se console en succédant à Nicolas Sarkozy à la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine le 1er juin 2007. Le voici en terrain miné. Il est élu d’Antony, et mesure combien le couple Balkany a de l’influence. Il ne se doute pas quel enfer ils vont lui faire vivre.

« Les Balkany et moi, on se connaît depuis toujours, et depuis toujours c’est compliqué entre nous, raconte Devedjian. Isabelle est directe, son mari est plus tordu. On n’est pas du tout pareils. C’est-à-dire ? Eh bien, on voit bien comment ils sont, quoi ! Je ne les aime pas. Mais ça n’empêche pas l’objectivité. Ce sont des gens très entreprenants, très soucieux de publicité, de démonstrations, très extravertis, ostentatoires même. Ils aiment faire étalage de leurs richesses, ils sont cyniques, opportunistes, démagogues, ils ont une relation décomplexée avec l’argent… » Devedjian en rajoute : « Ils n’ont pas le souci de la maîtrise de la dépense publique. Isabelle dit toujours qu’il est scandaleux que le département n’ait pas assez d’emprunts, que l’on peut toujours dépenser davantage. Levallois est l’une des villes les plus endettées de France, mais eux ils trouvent cela normal. Le rapport de la Cour des comptes sur Levallois est accablant, il pointe l’existence de poupées gigognes, l’endettement de tout le système. Ce ne sont pas de bons gestionnaires, mais ils ont le sens de la communication. » Un dernier coup de griffe pour la femme du maire de Levallois : « Isabelle disait que Cécilia était sa sœur, maintenant Carla est sa meilleure amie, c’est curieux, non ? »

Les Balkany ne doutent de rien. Jamais. En 2007, Isabelle Balkany tente même de gagner la présidence du conseil général, contre Patrick Devedjian, arguant du soutien de Nicolas Sarkozy. La campagne est sanglante. « En 2007, quand elle s’est présentée contre moi, elle a prétendu qu’elle était la candidate de Sarko, mais celui-ci n’a rien dit. Le jour de la désignation, elle a demandé le report de la séance en ces termes : “Je demande que le vote soit reporté, Nicolas n’a pas eu le temps de dire que j’étais sa candidate…” Leur relation est ancienne et si proche… », soupire Devedjian. À quoi tient-elle, cette relation ?

La proximité géographique, d’abord. Levallois-Perret et Neuilly-sur-Seine sont deux communes voisines. Sociale, aussi. Levallois, longtemps ville ouvrière, s’est embourgeoisée, sous les coups de boutoir des bulldozers qui, dans les années 1980, après l’élection de Patrick Balkany, ont chassé les populations défavorisées, notamment les immigrés… Et puis, Balkany et Sarkozy sont tous les deux les enfants de Charles Pasqua. Ils partagent les mêmes origines hongroises, également. Une amitié indestructible les unit, qui remonte au temps où Patrick Balkany emmenait Nicolas Sarkozy en vacances à Saint-Tropez. En habiles courtisans, les Balkany savent tout de lui et le font savoir, sans jamais en abuser. Un atout évident. « Sarko protège les Balkany, ça c’est certain, tranche Patrick Devedjian. En 2008, il a insisté lourdement, très lourdement, pour que je garde Isabelle comme vice-présidente. Il m’a fait une scène, alors qu’elle m’attaquait en permanence, raison pour laquelle je l’avais écartée. J’avais succédé à Sarko pour l’achèvement de son mandat, et je me suis fait réélire en 2008. En 2007, Balkany s’était présentée contre moi dans une primaire. Je l’avais exclue de l’exécutif. Elle était sortie de la salle et avait appelé immédiatement Sarko pour se plaindre. Ça n’a pas raté : quelques minutes plus tard, il m’a téléphoné au cours de la réunion : “Tu ne peux pas faire ça, c’est moi qui t’ai fait élire, c’est une trahison.” Il était hors de lui, c’était très violent. Donc, je n’avais pas eu le choix, et je l’avais reprise dans l’exécutif. »

Les Hauts-de-Seine, c’est, après Paris, le département le plus médiatique de France, le plus riche aussi. Pour y tenir son rang, il faut savoir jouer du canif. Ne surtout rien lâcher. Tous les coups sont permis. Impliqués dans divers scandales, les Balkany s’en tirent à chaque fois. Ils bénéficient du soutien présidentiel, constant. On insiste encore : pourquoi ? Le couple terrible détiendrait-il quelques lourds secrets ? « Oui, la réponse est dans la question », s’amuse Devedjian, qui préfère ne pas s’aventurer plus loin. Il s’est forgé une réputation, depuis qu’il préside le conseil général. Celle d’un M. Propre, qui a même parlé, en juillet 2008, dans un entretien à L’Express, de « nettoyer les écuries d’Augias » du département. Une petite phrase que « le clan des Hongrois » ne lui a pas pardonnée. « Le climat est plus que malsain, tranche Devedjian. Serais-je détenteur de secrets potentiels ? Les affaires ici remontent à bien plus loin que Sarko. Je suis persuadé que, durant les trois ans où il a été président [du conseil général], il a mis le couvercle sur la marmite, qu’il a utilisé ça pour sa campagne, mais qu’il n’y a rien d’autre. En revanche, s’agissant de Pasqua et Balkany… Il y a la fameuse SEM Coopération, avec des affaires très opaques en Afrique. J’ai fermé la boutique et dissous la SEM, la politique de coopération est transparente désormais. Pasqua n’a pas aimé, les Balkany non plus. » On le sonde sur les fréquents allers-retours de Patrick Balkany entre l’Hexagone et le continent noir, qui posent question. Il fixe un instant le plafond, puis lâche, dans un grand éclat de rire : « Balkany est proche de l’Afrique ? Oui. Balkany, c’est l’Afrique… et le fric ! »

Les séjours réguliers de Patrick Balkany en Afrique font jaser. Au grand dam du Quai d’Orsay, il tutoie les chefs d’État africains, engrange des relations, transmet des consignes. Fait des affaires. Il est dans le petit cercle de ceux qui fréquentent les arrière-salles, empruntent les chemins détournés. La face obscure de la politique étrangère de la République. Preuve que la Françafrique n’est pas morte.

Isabelle Balkany est aux côtés de son époux, constamment. Ils sont incontournables. Ils jouent de leur influence, et n’ont de cesse de critiquer Devedjian. « Mes relations avec Sarko se sont dégradées du fait des intrigues du fils [Jean Sarkozy] et des Balkany. Je sens chez eux une animosité, une obsession. Une fois, Sarko m’a dit : “Tu as été un très bon ministre, mais dans le 92, en revanche…” C’est pour ça que j’avais parlé de “nettoyer les écuries”. C’était ma réponse aux attaques politiques d’Isabelle Balkany, aux manœuvres du fils, aux reproches du père. Et puis, au début, tous les quinze jours, j’avais des perquisitions de la PJ ! Isabelle a un fort pouvoir de nuisance auprès de Sarko. Elle a fait virer le directeur général des services de Nicolas Sarkozy sous prétexte qu’il avait déposé plainte dans l’affaire des collèges, susceptible de l’impliquer… »

D’un côté, il y a donc un Devedjian qui fâche les amis du président et se construit une posture d’incorruptible sur le dos de son prédécesseur, de l’autre, un Sarkozy qui n’aime guère que l’on s’éloigne de lui, que l’on critique, même en creux, son bilan, et, surtout, que l’on mette son nez dans certaines affaires. Peu à peu, les liens se distendent. Les coups de fil s’espacent. Devedjian est bien nommé ministre de la Relance, en 2008, mais la confiance n’est plus ce qu’elle était. D’autant qu’un petit nouveau en politique vient semer le trouble. Il s’appelle Jean Sarkozy, il n’arrive pas à finir ses études en droit. Surtout, il veut faire comme papa. Gagner. Isabelle Balkany lui a quasiment donné le biberon. Elle a barre sur lui. « Nos rapports se sont encore compliqués avec l’arrivée de Jean, elle l’a accaparé, confirme Devedjian. Elle l’a instrumentalisé, et lui en avait parfaitement conscience. Elle a mis son expérience à son service. Au début, elle s’est dit que si elle n’arrivait pas à me battre, lui, le fils du président, pourrait y parvenir. Elle l’a utilisé à cette fin. Ce sont les Balkany qui l’ont poussé vers l’Établissement public d’aménagement de la Défense (EPAD). Les Balkany en ont toujours rêvé, de l’EPAD, avec toutes les tours à construire… Et ils ont monté le coup pour la présidence du groupe. »

Mais l’EPAD échappe finalement à Jean Sarkozy, fin 2009, alors qu’il en guigne la présidence. Trop jeune, trop vorace. L’affaire fait scandale et écorne passablement l’image des Sarkozy père et fils. Patrick Devedjian, qui se serait bien vu rester à la tête de l’EPAD, savoure cette défaite du camp opposé. Il n’avait pas apprécié qu’on le pousse dehors. Déjà, un an plus tôt, il avait dû se plier aux exigences de Sarkozy. C’est l’histoire connue de l’élection, en 2008, du président du groupe UMP du conseil général, déjà l’occasion d’une passe d’armes. Et d’un désaveu pour lui. À l’époque, Devedjian souhaite que le maire Nouveau Centre de Meudon, Hervé Marseille, devienne le patron du groupe majoritaire au conseil général. Cris d’orfraie des Balkany, qui protestent auprès de Sarkozy. L’UMP est majoritaire, pas question de laisser un centriste prendre du pouvoir. Ils téléguident Jean Sarkozy, le propulsent, tandis qu’Hervé Marseille est invité par l’Élysée à prendre du recul. Il en sera récompensé, d’ailleurs. Par un poste rémunéré au Conseil économique et social. Et par la présidence du groupe, trois ans plus tard, en mars 2011.

Mais, en cette année 2008, c’est Jean Sarkozy qui prend la tête du groupe majoritaire. Voilà un rival de plus dans la place. « Les Balkany ont réussi leur opération, car Jean a été élu. Il s’est déclaré candidat par fax ! Jean, ils l’utilisent. Il a compris que les Balkany sentaient le soufre, mais il est prisonnier de ses liens avec eux et il essaie de ne pas le montrer. Je les vois arriver gros comme des camions. Les Balkany sont d’abord dominés par l’ambition, l’animosité aussi. »

Devedjian, qui a pris des coups également en tant que secrétaire général de l’UMP (de septembre 2007 à juin 2008), voit se créer, face à lui, une coalition d’intérêts partagés. L’Élysée suit l’affaire de près. « Nicolas sait tout ce qui se passe dans le 92 par l’intermédiaire de son fils, il lui raconte sa version des faits, généralement influencée par les Balkany, donc biaisée. » Jusqu’aux autorités administratives, qui sont sommées de veiller à ce que les amis du président ne manquent de rien. Très vite, le préfet Pierre de Bousquet de Florian, suspect aux yeux de Sarkozy depuis l’affaire Clearstream, est débarqué, dix-huit mois après son arrivée à Nanterre. Au profit d’un sarkozyste pur et dur. « Quand le nouveau préfet est arrivé, révèle Devedjian, il a été convoqué chez Sarko, qui lui a donné sa feuille de route en ces termes : “1) Il faut veiller aux intérêts de mon fils. 2) Beaucoup de gens dans le 92 vont dire qu’ils sont copains avec moi, mais je n’ai qu’un ami dans ce département, c’est Balkany.” Il connaît tous les conseillers généraux de la majorité, il en a décoré les trois quarts, ils n’osent pas lui résister. »

Chaque élection est l’occasion d’une nouvelle escarmouche. L’ennemi est un frère d’armes, c’est Devedjian. Ainsi, en octobre 2010, Jean Sarkozy est réélu délégué de l’UMP à Neuilly-sur-Seine. Sans difficulté. Mais il a le sentiment que Devedjian a voulu compliquer sa réélection. Ou alors il tente de miner un peu plus les relations entre Sarkozy et Devedjian. Quoi qu’il en soit, l’affaire se passe mal. « Il a dit à son père que des candidats se présentaient contre lui, et que j’avais téléguidé l’opération. Cela n’avait aucun sens ! Si j’avais monté l’opération, elle n’aurait pas été aussi foireuse. Nicolas m’a fait une violente sortie à ce propos, il m’a engueulé, durement. Je me suis défendu mais il ne m’a pas cru. »

Du coup, le président du conseil général va payer ses audaces supposées. Un mois plus tard, il faut élire le patron de la puissante fédération UMP des Hauts-de-Seine. Chacun compte ses troupes. Il ne devrait pas y avoir de surprise. Devedjian est confiant. Le lundi 15 novembre 2010, il est pourtant battu par le député et maire de Chaville, Jean-Jacques Guillet. 319 voix contre 180. C’est cinglant. Devedjian se lâche, le vendredi suivant, dans une interview au Monde, et accuse l’Élysée d’avoir creusé sa tombe. Avec le recul, il maintient que Sarkozy a tout fait pour le faire trébucher. « Cette histoire a été montée de toutes pièces par l’Élysée. Un mois avant, Sarko me voit et me dit : “Tu vas avoir une surprise, tu ne t’entends pas bien avec ta majorité…” Certains sont venus me dire après l’élection : “J’ai été obligé de voter contre toi, j’ai eu des instructions.” Ainsi Pierre-Christophe Baguet, à Boulogne, m’avait toujours dit qu’il voterait pour moi. Il déjeune avec Jean Sarkozy, qui lui demande de voter contre moi. Baguet me raconte le déjeuner. Le lendemain, à 11 heures du soir, Baguet m’appelle et me laisse un message, que j’ai conservé : “Si tu ne dors pas, rappelle-moi.” Je le rappelle. Il m’explique que le président vient de lui téléphoner, qu’il lui a demandé comme un service de voter pour Guillet. “Je suis emmerdé…”, me dit-il. Il n’a pas tenu le coup, l’un de ses militants est même venu me voir en larmes, en me disant que Baguet lui avait donné l’ordre de voter contre moi. J’ai vu le président un mois après. Il m’a dit : “C’est dégueulasse ce que tu as fait, ton article dans Le Monde. – Non, c’est dégueulasse ce que toi tu as fait. – C’est faux, c’est Baguet qui m’a téléphoné…”, m’a répondu Sarko. Comme si Baguet allait décrocher son téléphone et appeler l’Élysée… »

Comment, dans ces conditions, imaginer cette incroyable victoire personnelle aux élections cantonales de mars 2011 ? Patrick Devedjian sentait l’acharnement dans le camp d’en face, la volonté de le couler définitivement, lui qui, visionnaire, avait dit, au soir de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 : « On gagne un président, on perd un ami. » Il a fait face. Il avait prévenu : « Je me battrai. » Il ne s’est jamais vu dans la peau d’un courtisan. Il a toujours su ce qu’il souhaitait, le bonheur en famille, avec ses quatre enfants, et puis, s’agissant des honneurs républicains, il a eu sa dose, même si l’on n’est jamais vraiment rassasié, en politique. « Sarkozy ne fait pas de quartier, mais je suis têtu. Il m’avait dit que si je laissais la place à Jean, je serais ministre jusqu’à la fin de ma vie ! Tant pis. Les coups tordus, ils en sont capables, mais ils peuvent toujours venir me chercher. Et puis, je n’ai pas le concept de carrière… »

Dans son vaste bureau, il souffre tout de même de la situation, de sa solitude. « Affectivement, être dans le collimateur de Sarko m’a touché, j’ai toujours soutenu Nicolas, mais il a tellement changé. » Il n’envisage pas de rendre les armes. « J’ai toujours été son ami loyal, mais pas son domestique. Je ne le serai jamais. » Il a cette phrase, qui laisse deviner l’attachement conservé à celui qu’il admire encore, malgré tout : « J’étais l’ami proche de Sarko pendant trente ans, je ne vais pas non plus piétiner ça. »

Il fait bien. Rares sont ceux qui ont encaissé les coups de Sarkozy et de son clan, et qui en ont réchappé. Devedjian a 67 ans. Il a su renverser la situation. Du moins provisoirement, il ne se fait aucune illusion sur ce point. Et Jean Sarkozy peut bien attendre encore un peu. Voilà donc le fiston vice-président du conseil général, il n’a plus qu’un échelon à gravir. Il a trahi ceux qui l’avaient soutenu. De la bonne graine d’homme politique. Il lui suffit de patienter, jusqu’à ce que Devedjian ne soit de nouveau plus en cour.

Sarko M'a Tuer
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